Le gouvernement a donné des précisions sur les missions du futur Institut national du travail social. Quel tournant pour les formations sociales, et quelle place, dans ce nouveau paysage, pour les établissements de formation en travail social, s'interroge Jean-Luc Gautherot, ingénieur social, dans cette tribune libre*.
La création d’un Institut national du travail social (INTS) avait été annoncée en décembre 2023. Le lancement de sa préfiguration vient d'être officialisé via une lettre de mission et un communiqué de presse des ministères.
Tentons d’abord de comprendre ce que va faire concrètement ce nouveau venu, pour ensuite identifier les préconisations du Livre blanc du travail social, dont il aura la charge, et son articulation avec les acteurs historiques de la formation en travail social que sont la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et les établissements de formation en travail social (EFTS).
Les trois missions de l’INTS
Les trois missions prévues pour l’INTS ont déjà été largement présentées dans différents articles de presse :
- La création d’un cycle des hautes études du travail social ;
- Le développement de la recherche en travail social (il est question de créer une école de recherche) ;
- La création d’un centre de ressources e-learning sur le modèle de la formation consacrée à la maltraitance.
La première mission mérite qu’on s’y arrête un instant. Elle est en effet calquée sur un modèle encore totalement inédit dans le travail social : celui de l’Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN).
Le modèle de l’IHEDN
Cette organisation propose chaque année une session de formation à des participants qu’on nomme des auditeurs (rien à voir avec la fonction d’audit). Elle est composée de cinq modules communs et de cinq choix de spécialisation. La formation est payante et débouche sur l'obtention d’une certification enregistrée au référentiel spécifique de France compétences.
Les auditeurs sont des personnes de tous horizons qui doivent avoir entre 35 et 55 ans, et qui occupent de hautes fonctions en lien direct ou indirect avec la défense : des ingénieurs militaires, des hauts gradés, des élus, des professionnels des grandes administrations, des dirigeants de l’industrie de l'armement, des juges, des journalistes, des avocats.
L’objectif est de doter ces personnes d’une haute compétence d’expertise en matière de défense et de créer une communauté à même de diffuser dans la société une préoccupation pour cette question.
Un nouvel organisme de formation
Si l’INTS s’inspire de ce modèle, il aura un statut d’organisme de formation qui proposera un cycle des hautes études, indépendant des formations aux diplômes d’État, aux personnes qui occupent les hautes fonctions du secteur. La lettre de mission cible les « cadres supérieurs des collectivités, de l’État ou des associations, élus, journalistes ». Bref, un genre de petit ENA du travail social.
En complément de cette formation assurée directement par l’INTS, il est question de créer, je cite : « subsidiairement, une offre de deuxième cycle universitaire, à visée nationale, appuyée sur une université de référence ». Le deuxième cycle correspond au niveau master 2.
Pour résumer, même si des zones d’ombre demeurent, on peut dire que l’INTS sera donc trois choses à la fois : un genre de petit ENA du travail social qui propose un cycle de formation de haut niveau aux personnes qui occupent les hautes fonctions du secteur ; une école nationale de recherche en travail social ; une bibliothèque nationale du e-learning en travail social.
Avant d’aller plus loin, commençons par préciser que la création d’un INTS ne fait pas partie des préconisations du Livre blanc du travail social.
Impact sur la réarchitecture des diplômes ?
Le travail de réarchitecture des formations, évoqué dans le Livre blanc pour favoriser les passerelles entre les métiers, reste une prérogative de la DGCS (ce chantier est engagé). L’introduction de certains thèmes dans les formations également. A priori, si on s’en tient à ce qui est prévu, l’INTS n’aura pas d’impact sur les référentiels des diplômes d’État en travail social.
Impact sur la recherche et la création d’un doctorat ?
Le Livre blanc recommande de « créer un écosystème de recherche jusqu’au doctorat en travail social ». Cette création n’est pas explicitement affichée dans les missions de l’INTS.
Cependant l’évocation d’une école de recherche, de la constitution d’une communauté de chercheurs, de masters créés avec une université de référence, laisse penser qu’une astucieuse première marche vers un doctorat en travail social est engagée. Quant au développement de la recherche promu par le Livre blanc, l’INTS sera en première ligne.
Impact sur la meilleure connaissance du travail social ?
Cela prendra du temps, mais on peut penser que le cycle des hautes études, qui fabriquera une communauté d’auditeurs composée de personnes qui occupent les hautes fonctions du travail social, diffusera dans la société – sur le modèle de l’IHEDN – une meilleure connaissance et une meilleure reconnaissance du secteur.
Impact pour les EFTS ?
Dans une chronique de décembre 2023, j’évoquais en quoi l’évolution du champ de la formation en travail social était assez peu favorable aux établissements de formation en travail social (EFTS).
Depuis, la transformation de la formation des mandataires judiciaires en licence professionnelle universitaire, qui les a privés de cette fonction, a confirmé cette évolution. Certains verront dans la création de l’INTS une nouvelle mise à l'écart des EFTS qui ne piloteront ni le cycle des hautes études, ni les masters.
Certains d’entre eux ont développé des centres de recherches très fonctionnels et ont acquis des compétences pointues en matière de e-learning, ils ont une belle place à prendre en contribuant à l’école de recherche de l’INTS et à la production des contenus numériques de son centre de ressources.
Les précédentes chroniques de l'auteur :
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